LE DÉSERT BLANC

La lettre

La journée commença sous le soleil. En ce mois de mai 2013, ce fut rare.. Sur le chemin, devant une chapelle, l'envie d'un café excita les papilles. Noir. Fort. Sans sucre. De la terrasse, une belle vue surplombait la Haute-Loire. L'air était encore frais. Boire, la petite tasse de café s'éternisa. L'auberge s'appelait refuge, c'est pour cela que je m'étais arrêté, en souvenir de mes lointaines montagnes, un temps abandonnées pour retrouver suffisamment d'énergie après un accident. Sur ce chemin, on posait deux questions : vous venez d'où ? , vous allez où ?. Pour cette dernière, trois réponses possibles : Conques, Roncevaux, St-Jacques. -Vous venez d'où ?, me demanda traditionnellement, l'aubergiste.

- Du Puy, mais j'arrive de Vienne.

-Vous allez où ? Je vais jusqu'à mardi en huit.

C'était la date butoir consentie pour ce détour au centre de la France. Cela fit rire, Brigitte :

-Mais si vous êtes de Vienne, vous connaissez peut-être, Jean Terboud.

-Oui, je connais Jean Terboud. Le regard se figea. De l'émotion monta.

-Je vais vous donner quelque chose et quand vous le reverrez vous lui donnerez. Elle me tendit une lettre marquée « pour Jean ». Nous tenions le refuge de Font Turbat, dit-elle le regard dans le vide, celui qui happe du haut des grandes falaises.

Je mis la lettre dans mon sac et dis au-revoir. Je dû gardé cette lettre à l'abri, par tous les temps. Plus tard je la tendis à Jean. Il la pris, le regard lointain.

L'idée de monter au refuge de Font Turbat devint un but de randonnée.

Désert

La montagne est grande. Il faut la découper pour comprendre son immensité. Un jour dans un massif, un jour dans l'autre. Selon la saison, commencer petit. Puis s'élever et redevenir modeste, jusqu'à la prochaine saison. Pour ce mois de février d'hiver, je cherchais une destination sans but. Un lieu sans autre intérêt sinon de faire le chemin. Monter au refuge de Font Turbat était un bon choix. Arriver là, en hiver, en raquettes, amène nulle part. C'est un cul de sac, sans issue, à moins d'être alpiniste, pour la grande face de l'Olan ou de s'échapper par la brèche de l'Olan ou le Col d'Entre Pierroux si l'on est bon skieur ou alpiniste aventureux. Passer une nuit d'hiver en refuge, sans eau, sans chauffage, sans électricité, sans gardien, juste avec le froid et l'humidité, remplit le montagnard d'humilité. Le point de départ se nomme : Le Désert en Valjouffrey. Partir du Désert par aller nulle part et revenir dans l'immensité blanche, pour rien, le poète ne pourrait rêver mieux.

Hésitations

Les hésitations et le doute ont commencé trois mois plus tôt. Sertie entre les rochers , la trace est-elle sûre en hiver ? Les avalanches, les coulées peuvent-elles emportées le promeneur tranquille sur son chemin ? La carte dessine-t-elle tous les ressauts de terrain, les pentes, les couloirs ? Le refuge d'hiver est-il bien ouvert ? Est-il suffisamment équipé de couvertures pour un froid d'hiver, dans ce cube de pierres gelées ?

La météo, cette voix des consciences, qui comme un dieu romain, tout puissant, dicte la recette de la sauce à laquelle vont être mangés les amateurs de pleine nature. Beau temps : n'importe quel lieu devient un paradis. Mauvais temps : tout est gris, tout est ombre, rien n'est plus attirant.

L'oracle prédira, le soleil la journée du samedi et jeta un sort sur un dimanche de pluie même en montagne. Sans répit, sans neige, que pluie, qu'avanies et calamités. Rien de bon pour le marcheur montagnard.

La vallée gelée

Les voitures se collent les unes aux autres sur les routes de montagne. Grenoble est une plaque tournante presque immobile. La foule est en transit, soit pour partir, soit pour arriver. La route devient de plus en plus étroite et de plus en plus vide, uniquement remplie de virages. Que font les gens dans ces villages isolés ? Un cycliste s'échauffe dans la pente. Il fait 2°C. Le temps est couvert. Les nuages plafonnent au-dessus de nos têtes. La pente d'accès au refuge est douce mais longue. Les parois rocheuses bordent de part et d'autre la Bonne, la rivière bien nommée. Dans cette étreinte enneigée, les pas, raquettes au pieds, sont sans encombre. Ils glissent comme les skis d'un skieur de fond. Les pieds ne butent sur rien, que la neige douce. La vallée est encaissée. Les parois sont parfois abruptes. Elles s'éloignent suffisamment de l'itinéraire pour ne pas oppresser. Elles mettent une distance courtoise aux avalanches entreprenantes. La neige recouvre tout, herbes et roches, arbres et pentes, tout en en laissant apparaître suffisamment pour l'imaginaire. D'un coté une cascade renommée s'active à évacuer l'eau de la montagne. D'où vient cette eau ? De la fonte des neiges? mais il fait froid. De l'intérieur de la terre ? Mais par quel mystère ?. Sur l'autre berge, l'eau s'est figée en glace. La roche devient mur de glace. Pourquoi à cet endroit précis ? Un juste mélange d'eau, de froid, d'orientation, de pente, de poussière dans l'atmosphère.

Je vais t'en donner de l'Olan !

La brume impose l'horizon. Pas d’agressivité, pas de maléfices dans cet éther de coton. Les récits de Frison-Roche ne sont pas loin dans cette vallée sans homme, dans ce grand désert, sur cette piste oubliée. La Bonne bruite sous le neige. La pente s'élève à peine, quelques épicéa en profitent pour tenter de survivre. La fatigue commence à s'installer sous un sac trop lourd. Le temps s'écoule à l'allure du mouvement de balancier de francomtoise, au rythme des crissements des raquettes sur la neige gelée. Majestueux dans ses Ecrins, l'Olan monte la garde au fond du val. Ces vassaux, Les Souffles, le Turbat, Les Arias se redressent, fiers, à ces cotés, prêts à bondir. Puis, d'un coup, les nuages s'évanouissent devant le Dieu Soleil. L'Oracle a eu raison une fois de plus. Le temps de quelques pas et le ciel apparaît tout de bleu. Rapidement, l'ambiance devient chaleureuse. L'éclairage du soleil couchant dessine les contours précis de chaque rocher. La face nord-ouest de l'Olan s'impose : une des plus hautes et des plus raides falaise des Ecrins. Mille cent mètres séparent le bas du Glacier de la Maye pour aller au sommet. Et nous, nous sommes là, en visiteurs, en curieux, raquettes aux pieds, juste en voyeur. Admiratifs de la couleur ocre du gneiss éclairé par les rayons rasant du soleil qui va bientôt disparaître derrière les montagnes. Horreur !!!!!!!!!! si le soleil n'est plus, ce sera la nuit ?

Refuges cachés

Le dernier rayon parti, aussitôt la température baisse, la neige se durcit, le froid rentre dans les poumons. La nuit tombe comme un voile de crêpe sombre. Elle change la perception des choses, de la pente, du temps. Elle doit être respecter humblement. Trouver le refuge devient une nécessité. Un grand arc de cercle doit nous y emmener. Prenant de l'avance, je vois enfin le refuge. Les Refuges, devrais-je dire, puisque le refuge d'hiver, celui que nous cherchons, est une annexe du refuge d'été plus grand, mieux équipé. Nous sommes trop haut, les refuges attendent stoïquement, en-dessous de nous. La pente enneigée qui pourrait nous amener, moins de cinquante mètres plus bas, en quatre pas, n'est très raide. Mais ce n'est pas la problème. Une croûte s'est formée sur des couches de neige plus ou moins transformées en cette fin février. Soit les raquettes survolent la croûte glacée, soit elles s'enfoncent dans un manteau neigeux improbable. Nous tentons de retrouver l’itinéraire du chemin d'été enfouie sous un mètre de neige mais peut-être peu exposé. Nous traversons un par un une zone louche. Je ne ferais aucun pari sur la plaque sur laquelle nous sommes. A l'abri d'un rocher, la lecture de la carte ne nous amène pas la clé. La proposition de contourner la zone pour atteindre les refuges par dessous, ne me plaît guère. Je revois en accéléré, d'autres situations scabreuses vécues souvent dans l'ignorance du danger. J'entends les phrases, les mots, des guides et des montagnards expérimentés racontant leurs tendres galères de nuits passées dehors. Je balaye en un éclair tous les cours sur la nivologie, les avalanches, les modes « survie ». Nous envisageons tous les scénarios possibles sans panique, sereinement : les refuges sont là, pas très loin...

Une solution, LA solution émerge simultanément de nos trois esprits : il est encore temps de redescendre. L'équipe est en forme. La pluie est annoncée pour la journée du lendemain. Nous n'avions qu'un seul but : venir aux refuges de Font Turbat. Rien d'autre. Rien d'autre à faire pour des adeptes de la raquettes. Plus loin, c'est la montagne pour alpinistes ou skieurs de randonnée.

La lune dans la fente de l'Olan.

Alors tout devient limpide comme un ruisseau de montagne en été. La descente Est longue. Dix kilomètres de long mais pas difficile. Les mille mètres de dénivelée s'égalisent tout au long du chemin. La Bonne, la bien nommée est là. Elle nous guidera s'il le faut. Mais c'est inutile. Pas besoin de carte, de GPS, de sentier balisé, de ruisseau, la lune, modestement à demi, éclaire tous le vallon de sa lumière blanche. Les lampes frontales sont éteintes. Ce serait une faute de goût que de ponctué de trois petits points branlants tout le vallon. C'est une grande sérénité qui nous guide maintenant. La beauté du paysage, juste bleuté par la lune. Le ciel complètement dégagé se ponctue de mille étoiles comme recouvert par une passoire aux trous disparates. La brise des sommets coule vers la vallée. Elle nous pousse à notre nouveau but. Notre destinée est maintenant claire et sûre. Le moral est au plus haut avec la fierté d'avoir pris une décision pas toujours facile : renoncer à cent mètres du but. La montagne nous le rend bien car elle a levée toute difficulté. Un instant la lune se fige entre le sommet Nord et le sommet central de l'Olan. Hasard incalculable. Qui aurait pu dire que selon l'endroit où nous nous situons, selon la phase de la lune et sa hauteur dans le ciel, selon la hauteur de neige sous nos pas, selon l'heure où nous sommes partis et à quelle allure nous progressons, selon l'altitude de la brèche et son emplacement, alors à ce moment précis la lune passera derrière les deux roches pour jouer à cache-cache le temps d'un cliché photographique ?

En pente douce

La descente sous la lune est magnifique de zénitude. Le rythme régulier des pas nous bercent. La pente douce ne demande pas d'effort malgré nos sacs emportant le « vital » pour deux jours de haute montagne en refuge non-gardé. Nous repassons devant la cabane de Chatelerat, la cascade de la Pisse. Les lumières du Désert apparaissent au dernier moment. Nous traversons le village endormi.

Très belle expérience. Qui aurait osé proposer une ballade de plus de vingt kilomètres, mille mètres de dénivelée, en aller-retour, partant dans l'après-midi, pour revenir dans la nuit hivernale ?

Nous l'avons eu notre marche nocturne et c'est fabuleux.

Qui viendra la prochaine fois pour une autre aventure  ?

Pascal Meurier


 

Date de début : samedi 28 février 2015

Nombre de jours : 2

Lieu : Valjouffray - Ecrins

Nombre de participants : 1

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